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Les élections dont personne ne voulait

Les élections dont personne ne voulait
Écrit par Hugo Meunier, Noovo Info

La campagne fédérale n’intéresse pas grand monde, les gens en veulent à Justin Trudeau de l’avoir déclenché en pleine pandémie et presque personne n’est capable de nommer les candidats qui s’affrontent dans leur circonscription: c’est le constat qui se dégage d’un coup de sonde mené sur le terrain à une semaine du scrutin.

Bon, ce sondage est aussi scientifique que des recherches sur Internet, mais c’est le fruit d’une balade à vélo dans quelques comtés montréalais.

Armé de mon calepin, j’ai accroché des badauds au hasard pour palper leur intérêt envers la campagne et leur demander s’ils savent au moins qui se présente dans leur hood.

Je ne vais pas ridiculiser publiquement les gens dans cet article façon vox pop de Guy Nantel, promis.

Difficile après tout d’en vouloir aux gens de ne pas connaitre sur le bout des doigts leurs candidats, alors qu’il s’agit d’une campagne expéditive d’un mois déclenchée en plein été et que la pandémie domine encore les manchettes.

J’ai d’ailleurs moi-même dû googler les candidats de mon quartier (autres que l’irréductible Alexandre Boulerice), ne serait-ce que pour être capable d’épeler le nom complet de la bloquiste Shophika Vaithyanathasarma.

Crédit: Hugo Meunier


Enfin, j’ai entrepris mon pèlerinage en bécane sur la chic promenade Masson dans ma circonscription de Rosemont-Petite-Patrie, où le néodémocrate Alexandre Boulerice défend son titre pour la quatrième fois.

Premier constat, les gens sont étrangement toujours «pressés» ou «en retard à un rendez-vous» quand tu les abordes sur le trottoir.

À leur défense, j’ai une sale gueule et les gens se méfient quand un barbu hirsute entre dans leur bulle avec son calepin.

Comme la ténacité est mon middle name, je convaincs Maude de me partager ses états d’âme électoraux. « Je ne suis pas trop ça (la politique), mais je vote à chaque fois. La campagne passe tellement vite, j’espère que les gens auront le temps de se faire une idée », indique cette résidente de Lac-Brome dans les Cantons-de-l’Est, de passage en ville pour une formation. Connait-elle l’identité des candidats qui croisent le fer dans son fief? « La députée est une femme, mais je ne sais pas son nom », avoue-t-elle candidement, ajoutant avoir suivi un peu le débat des chefs à la télévision.

Un deuxième constat saute aux yeux : les pancartes vandalisées sont légion. Pratiquement toutes celles accessibles sont maganées par des graffitis, propos haineux et autres insultes.

Un symptôme de la grogne populaire envers ces élections «surprises» ou de la polarisation ambiante qui pourrit l’ambiance sur les réseaux sociaux? Votre théorie vaut la mienne.

En face du Dollorama, je parviens de peine et de misère à retenir l’attention d’une Geneviève présumément en retard à un rendez-vous. « Mon idée est faite depuis le début, mais la campagne n’a pas l’air intéressante », analyse la jeune femme, qui a vu un résumé du débat à RAD pour se faire une tête. Sans révéler son vote, son jupon néodémocrate traîne sur le trottoir. « Je ne connais qu'Alexandre Boulerice, c'est le seul qui a des chances au NPD », croit-elle.

Attablés à l’emblématique Canada Hot Dog, Pierre et André jasent justement de politique à mon passage. « On entend plus parler de François Legault réagissant au Quebec bashing que de la campagne fédérale à proprement parler », constate André, qui semble s’y connaitre en politique, à l’instar de son ami.

Mais pas au point de savoir qui se présente dans son comté, un détail de toute façon. « Ici, c’est Boulerice, mais je ne voterai pas pour lui. Je ne connais pas les autres, mais j’ai toujours voté pour le Parti et non les candidats », affirme André, qui a l’intention de voter stratégiquement, tout comme Pierre.

Les deux hommes en veulent au premier ministre sortant Justin Trudeau d’avoir plongé le pays en élections. « Le monde ne voulait pas d’élections! Là-dessus, tout le monde s’entend, francophones et anglophones! », peste Pierre, d’avis que l’ouest du pays votera pour les Conservateurs alors que les Québécois feront massivement confiance au Bloc. « Je ne connais pas le nom de ma députée, mais c’est une jeune libérale et une protégée de Paul Martin. Moi je vais voter Bloc! », confie Pierre, qui habite à Lachine.

La campagne électorale n’existe pas dans le Vieux-Port de Montréal, où aucune affiche n’est visible à la ronde.

Les quelques personnes que je pourchasse avec mon calepin me fuient comme si j’étais une chauvesouris dans un marché de Wuhan.

Les premières pancartes réapparaissent sur le boulevard Saint-Laurent, à la hauteur du quartier Chinois. Des graffitis de «MK Ultra» ( un projet scientifique de la CIA pour développer des techniques de manipulation mentale entre 1950 et 1970) sont visibles sur le visage du député sortant de Laurier-Sainte-Marie Steven Guilbeault. Ses pancartes jouent du coude avec celles de Nimâ Machouf (NPD) et Mary-Ève-Lyne Michel (Bloc), sans oublier Ronan Reich (PC) et quelques affiches du Parti communiste. 

Crédit: Hugo Meunier


Au son d’une violoniste installée sur la rue piétonne de La Gauchetière, je sonde quelques passants et commerçants sur la campagne en cours. J’obtiens une indifférence à peu près équivalente que lorsque je demande à mon fils de 13 ans de faire le ménage de sa chambre pendant qu’il est en train de swiper des vidéos TikTok.

Je n’ose pas déranger les pratiquants du Falun Gong en pleine séance de méditation quand même. J’entre dans un commerce, où le propriétaire me mime de le suivre dans la boutique voisine. J'apprends qu’elle appartient à sa fille, la seule à parler anglais. « Je ne suis pas vraiment la politique, mais mon mari écoute les nouvelles. Nous allons sans doute voter pour les conservateurs », confie Qiu, qui ignore totalement l’identité de son député.

Crédit: Hugo Meunier


Même désintérêt envers la campagne chez cet employé de la boutique Kiko à quelques portes de là. « Déjà que les affaires reprennent très lentement », peste le jeune homme, qui me regarde comme si j’étais Christophe Colomb sur le Santa Maria quand je lui parle de Nimâ Machouf, Steven Guilbeault, voire d’élections tout court.

J’enfourche à nouveau ma bécane, déterminé à ne pas me laisser désillusionner par l’absence de buzz entourant l’expression de notre démocratie. Je verrouille mon cadenas un peu plus haut, coin Prince-Arthur et de Bullion. « Les gens ici ont plus suivi ce qui se passe avec le passeport vaccinal, ça parle très peu de la campagne », constate Jean-Gérard, en train de fumer une clope devant chez lui. « Je vis surtout à Toronto, ici, c’est ma résidence d’été. Mon fils va à l’école ici aussi », enchaine l’homme, qui raconte avoir personnellement écrit à Justin Trudeau sur Twitter pour lui dire que déclencher des élections à ce moment-ci était une idée de marde. « Je lui ai dit: it’s a bad idea, you're gonna lose », cite Jean-Gérard, convaincu que le plan du chef libéral de remporter une majorité va se retourner contre lui. « J’ai aimé le PLC, je l’ai supporté, mais il a besoin de se reposer un peu après cette pandémie. Ça sera selon moi un gouvernement minoritaire conservateur avec une opposition néodémocrate », estime Jean-Gérard, qui pense que ses voisins montréalais vont quand même renouveler leur confiance envers Steven Guilbeault. « La stratégie du NPD de faire des publicités pour dénigrer les libéraux ne passe pas », croit-il, en référence aux railleries du clan Machouf contre le député sortant sur les réseaux sociaux.

Crédit: Hugo Meunier


Un peu plus loin, Terri avoue ne pas savoir encore pour qui voter. Elle devra se faire une tête rapidement, puisqu’elle devra le faire par anticipation vu qu’elle travaillera comme scrutatrice le jour des élections. « Justin Trudeau a perdu mon vote forever avec ces élections, mais ça va se jouer ici entre les libéraux et le NPD », prédit-elle.

« Justin Trudeau a perdu mon vote forever avec ces élections, mais ça va se jouer ici entre les libéraux et le NPD » — Terri | Crédit: Hugo Meunier


Je quitte Laurier-Sainte-Marie pour rouler jusqu’à Laurier, dans la circonscription d’Outremont. J’accroche un homme en train de trainer tranquillement un panier d’épicerie derrière lui. « J’arrive de voter par anticipation, ça a pris une heure! », se lamente Jean-Pierre Séguin, qui décoche quelques flèches en direction de Justin Trudeau pour ces élections non souhaitées par personne. « Je veux qu’il débarque, c’est un manipulateur! », peste-t-il.

« J’arrive de voter par anticipation, ça a pris une heure! » — Jean-Pierre Séguin | Crédit: Hugo Meunier


L’homme raconte avoir fait une bourde en faisant un X au mauvais endroit sur son bulletin de vote. « Je suis allé avec mes deux sœurs, mais j’ai voté NPD au lieu du Bloc comme j’avais prévu…», soupire-t-il.

C’est la candidate et ancienne députée d’Outremont (2011-2015) Ève Péclet qui profitera donc de l’erreur de M. Séguin. « Je ne me souviens plus de son nom, mais elle est belle, avec des dents blanches et de belles gencives », note-t-il candidement.

Si la dentition des élu.e.s pèse dans le vote, on peut s’attendre à une soirée électorale imprévisible et (oui je m’en vais là) en dent de scie.

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