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Erin O’Toole incarne-t-il le changement postpandémie que recherchent les Canadiens?

Écrit par Sarah Turnbull, CTV News | Traduction

Ce texte est une traduction d'un article de CTV News.

OTTAWA — Un an après avoir émergé triomphant de la course au leadership du Parti conservateur du Canada, Erin O’Toole entre dans cette nouvelle course, cette fois avec un enjeu beaucoup plus grand.

Dans les premières heures du 24 août 2020, un Erin O’Toole au regard lumineux est monté sur la scène du Centre Shaw, à Ottawa, flanqué de son père, de son épouse et de leurs enfants. Il s’est présenté aux Canadiens qui ne le connaissaient toujours pas malgré ses nombreuses années passées comme député et ministre.

«Aux millions de Canadiens qui sont toujours debout, que je rencontre ce soir pour la première fois: bonjour. Je suis Erin O’Toole, vous allez me voir et m’entendre souvent au cours des prochaines semaines et des prochains mois», a-t-il lancé au terme d’un marathon de votes.

Évidemment, les Canadiens ont beaucoup entendu parler de lui depuis, mais son rôle de chef de l’opposition officielle a clairement été affecté par la pandémie.

Les échanges avec les députés et la population ont dû se faire principalement de manière virtuelle; les débats avec le gouvernement et la présentation de solutions de rechange aux idées des libéraux ont été limités par le protocole du parlement lié à la COVID-19. Parallèlement, son principal adversaire avait droit à une tribune quotidienne en tête-à-tête avec les Canadiens pour leur livrer un message rassurant.

Maintenant, le politicien d'expérience et ancien avocat tente de renouer avec sa base militante et espère gagner une nouvelle frange de l’électorat qui s’est lassée après deux mandats libéraux et qui estime que la relance du Canada postpandémie sera meilleure avec un nouveau visage.

Origines

L’aîné d’une famille de cinq enfants, Erin O’Toole est né à Montréal en 1973. Son père, John, travaillait pour General Motors avant de se lancer en politique provinciale. Sa mère, Mollie, était enseignante. Quelques années plus tard, le père a été transféré à Bowmanville, en Ontario, où Erin O’Toole a grandi.

À 9 ans, il a perdu sa mère, qui a succombé à un cancer du sein - un deuil qui lui a «appris l'importance de tirer le meilleur de ce que l'on a et de ce que l'on est, et de ne jamais donner moins que son maximum», peut-on lire sur sa page web.

À 18 ans, il s’est enrôlé au Collège militaire de Kingston, en Ontario, et est éventuellement devenu officier de l’Aviation royale canadienne. Basé à Shearwater, en Nouvelle-Écosse avec le 423e escadron, il a gravi les échelons militaires jusqu’au grade de capitaine, puis s’est vu décerner la Décoration des Forces canadiennes et le prix de sauvetage en hélicoptère Sikorsky pour avoir sauvé un pêcheur blessé en mer.

D’après le député conservateur et membre de la garde rapprochée d’Erin O’Toole, Eric Duncan, son passé militaire se reflète souvent dans son style de gouvernance.

«Il est très posé, calme, décontracté, en contrôle et je crois qu’il est très intelligent et stratégique dans son approche. Vous pouvez clairement voir qu’il fait ses devoirs», a-t-il décrit en entrevue téléphonique.

Alors qu’il faisait partie des Forces de la réserve, il a rencontré son épouse Rebecca lors d’une partie de hockey de l’équipe junior des Mooseheads d’Halifax. Toujours selon le site web officiel du chef conservateur, le premier rendez-vous avec celle qui deviendra la femme de sa vie s’est déroulé chez Tom’s Little Havana et le couple a dansé sur la chanson True du groupe Spandau Ballet. Le couple compte aujourd’hui deux enfants, Mollie et Jack, qui sont les sujets de discussion de la majorité des débuts ou des fins de réunions de l’équipe O’Toole.

«Il parle toujours des cours de natation de Mollie ou du dernier projet de Jack à l’école, alors vous comprenez que cet environnement familial constitue une importante part de sa personnalité», partage Eric Duncan.

Après 12 années de service militaire, Erin O’Toole passe au monde des affaires avec un diplôme de droit décroché à l’Université Dalhousie. Il travaille notamment au sein des cabinets Stikeman Elliott et Heenan Blaikie, puis devient conseiller juridique chez Procter & Gamble. Il se concentre sur le droit des affaires et particulièrement en insolvabilité, en litige et en concurrence.

Carrière politique

Marchant dans les traces de son père, qui l’a inspiré à contribuer au service public, Erin O’Toole inscrit son nom comme candidat conservateur dans la circonscription de Durham, lors de l’élection partielle de 2012, à la suite de la démission de l’ex-ministre conservatrice Bev Oda.

Il remporte l’élection avec un peu plus de 50 % des voix.

Un an plus tard, le premier ministre de l’époque Stephen Harper le nomme secrétaire parlementaire du ministre du Commerce international. En 2015, il accède au poste de ministre des Anciens combattants en remplacement de Julian Fantino. Il adopte alors la perspective des anciens combattants et développe un plan en trois phases pour prioriser leurs besoins.

«On doit avoir une approche axée sur les anciens combattants dans tout ce qu’on fait, avait-il alors déclaré. Des politiques aux programmes, il faut que les anciens combattants et leurs familles soient au cœur de tout ce qu’on fait.»

Dès 2017, il tente une première fois sa chance dans la course à la chefferie parmi les candidats moins connus. Il tente de mener une campagne positive, clamant que l’optimisme n’appartient pas à Justin Trudeau. Il termine troisième derrière Andrew Scheer et Maxime Bernier.

Sous le leadership d’Andrew Scheer, Erin O’Toole occupe le rôle de porte-parole en matière de sécurité publique et d’affaires étrangères. Au déclenchement de la nouvelle course à la chefferie, il annonce en janvier 2020 qu’il se lance à nouveau avec l’intention de ramener un «leadership de vrai bleu» au parti.

Tout au long de la campagne, il a fait valoir son expérience militaire et son sens des affaires, mais il cherche surtout à rappeler qu’il n’est au fond qu’un Canadien ordinaire ayant grandi dans une petite ville ouvrière.

«Je ne suis pas un politicien de carrière, je ne suis pas un produit de la bulle d’Ottawa. J’ai passé dix ans dans le secteur privé, 12 ans dans nos forces armées, là où l’on vous juge pour qui vous êtes et pour le travail que vous accomplissez, pas pour où vous venez ou pour qui vous connaissez», peut-on l’entendre dire dans une vidéo de campagne.

Performance en pandémie

De l’avis de celui qui occupait le rôle de directeur numérique de la campagne au leadership d’Erin O’Toole, Jeff Ballingall, la dernière année a été difficile pour le chef conservateur, qui avait du mal à marquer des points en raison de la crise sanitaire qui a forcé les partis à laisser la partisanerie de côté pour travailler ensemble.

«Les Canadiens voulaient trouver un certain réconfort dans le fait de voir que leur gouvernement faisait ce qui est bien. On voulait tous voir Justin Trudeau réussir, on voulait tous voir les premiers ministres Ford, Kenney ou Moe réussir. On voulait que la COVID-19 disparaisse, on voulait que le moins de gens possible meurent et on voulait que l’impact sur l’économie ne soit pas trop dur», relate M. Ballingall en entretien téléphonique.

Erin O’Toole a aussi été ralenti en septembre dernier lorsqu’il a contracté la COVID-19 et qu’il a dû s’isoler pour deux semaines.

Tout au long de la dernière année et demie, tous les partis d’opposition ont dû vivre avec l’ultimatum de soutenir leur adversaire libéral afin de faire adopter des projets de loi au risque de faire tomber le gouvernement et de passer pour des égoïstes déconnectés de la réalité que vivent les Canadiens.

Les conservateurs ont tout de même joué leur rôle d’opposition en tenant le gouvernement responsable pour le manque de capacité de production de vaccin au pays de même que pour son retard à imposer des restrictions aux frontières et à protéger les aînés vulnérables dans les centres de soins de longue durée.

La stratège conservatrice et vice-présidente de la firme Summa Strategies, Kate Harrison, fait écho à cette impression en soulignant qu’il n’y avait pas beaucoup d’espace pour promouvoir une idéologie au cours de la dernière année. Il n’y avait pas beaucoup d’occasions non plus pour le chef d’aborder les sujets de prédilection des conservateurs.

Eric Duncan ajoute que les restrictions de déplacements ont aussi empêché le chef de mieux se faire connaître auprès des Canadiens.

«Quand vous êtes le nouveau chef d’un parti, vous voulez être sur le terrain et rencontrer le plus de gens possible, explique-t-il. Ne pas pouvoir être aux bulletins de nouvelles tous les soirs, ça rend la chose plus compliquée de se faire connaître, mais je pense qu’Erin a fait tout ce qu’il pouvait.»

Une campagne gagnante

Jeff Ballingall croit que si le sujet de la COVID-19 s’essouffle et que la discussion se tourne vers l’économie ou le logement abordable, la porte sera ouverte pour Erin O’Toole et ce dernier pourrait prendre le contrôle du débat.

«On va commencer à voir beaucoup de conséquences négatives des dépenses de Justin Trudeau, que ce soit l’inflation ou le niveau de la dette. Je crois que les gens vont se souvenir que les libéraux n’ont pas un très bon dossier en matière d’économie», a-t-il poursuivi.

Le parti propose un plan de rétablissement en cinq points dans sa plateforme Agir pour l’avenir afin de relancer l’économie du pays. On y promet de récupérer un million d’emplois perdus pendant la pandémie dès la première année d’un mandat conservateur; de renforcer les lois sur l’imputabilité et la transparence; de ralentir les dépenses liées à la pandémie «de façon responsable» dans le but d’un retour à l’équilibre budgétaire d’ici une décennie; d’établir un plan de préparation d’urgence et de renflouer les stocks de matériel de protection; et de créer un plan d’action pour lutter contre la crise de santé mentale qui affecte le pays.

Au-delà des sujets économiques, Jeff Ballingall estime que les conservateurs sous Erin O’Toole doivent montrer qu’ils reflètent un Canada plus moderne, autant dans l’image qu’il projette que dans les idées qu’il promeut.

«Avec les changements climatiques, il faut montrer qu’il y a un plan crédible. Vous n’êtes pas obligé d’être d’accord avec tous les aspects, mais c’est important de montrer qu’ils prennent les changements climatiques au sérieux», soutient M. Ballingall.

En 2019, les conservateurs ont pratiquement tout raflé dans les Prairies, mais ont subi une lourde défaite en Ontario. Si certains ont blâmé les politiques de Doug Ford, plusieurs ont montré du doigt l’ex-chef Andrew Scheer et son incapacité à présenter une position claire sur des enjeux sociaux comme l’avortement ou le mariage gai.

Sur ces sujets, Erin O’Toole doit être parfaitement clair sur ses positions, prévient Kate Harrison. Le chef a déjà annoncé qu’il marcherait lors des défilés de la fierté et qu’il était personnellement pro-choix. Une position qui s’est confirmée lorsqu’il a voté contre un projet de loi privé d’un de ses propres députés visant à interdire les avortements sélectifs.

Eric Duncan, le premier député conservateur ouvertement gai, assure que le soutien d’Erin O’Toole pour les droits des personnes LGBTQ2+ est sans ambiguïté.

«Je suis très fier de lui et je suis très reconnaissant de pouvoir compter sur son amitié, mais aussi sur ses actions. Il s’est prononcé aux Communes sur les prétendues thérapies de conversion. Il a été un allié et il l’a démontré depuis plusieurs années», a-t-il plaidé.

La position plus progressiste du chef ne le met toutefois pas à l’abri des critiques envers les membres de la frange conservatrice sociale au sein de son caucus. Des gens qu’il est aussi obligé de représenter.

Cette tension interne s’est manifestée récemment dans la réaction au projet de loi déposé par la députée de Saskatchewan Cathay Wagantall voulant interdire les avortements dits «sélectifs» en raison du genre. Alors que le chef et une majorité de ses principaux leaders ont voté contre, la majorité des députés du parti l’ont appuyé.

En campagne, Jeff Ballingall est convaincu que le chef va devoir être frondeur et ne pas reculer, puis surtout laisser sa personnalité s’exprimer. Un élément qui manquait cruellement au précédent chef Andrew Scheer.

«Les électeurs doivent être capables de voir ce qu’Erin O’Toole a dans les tripes pour connecter avec lui. Pour se projeter en lui. Erin O’Toole est réellement le genre de type qui va venir déneiger votre cour et vous donner un coup de main quand vous en avez besoin», décrit-il.

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