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Analyse : une campagne électorale canadienne à la façon U.S.A.

Analyse : une campagne électorale canadienne à la façon U.S.A.
Écrit par Martine St-Victor, Noovo Info

La 44e élection fédérale

Le dernier round d’un match de boxe est rarement le plus élégant. C’est la même chose pour les campagnes politiques et cette 44e élection fédérale ne fait pas exception. Marquée surtout par des manifestants violents opposés à la vaccination et aux mesures sanitaires, cette élection a été un rappel que les guerres de culture souvent associées à nos voisins du sud sont bel et bien installées ici.

Au niveau communicationnel, il y a eu plusieurs tendances pendant cette campagne. La plus évidente est l’influence américaine. À plusieurs niveaux, les méthodes utilisées lors de campagnes sénatoriales et présidentielles aux États-Unis ont trouvé échos chez les stratèges politiques canadiens.

Erin O'Toole dans la course et à la course

Depuis le premier confinement imposé par la pandémie, le chef du Parti Conservateur a partagé plusieurs clichés de ses sessions de jogging, sur ses réseaux sociaux. Ses clichés se sont multipliés pendant la campagne, accumulant les likes et se retrouvant aussi dans certaines de ses publicités télévisées. Le message qu’envoyait O’Toole, avec ses images symboliques, était celui d’un Chef assez en forme pour diriger un pays.


C’est une image que Justin Trudeau a perfectionné depuis son arrivée au pouvoir. On se souviendra des photos du Premier ministre en train de faire son jogging à Biarritz, lors du G7 en 2019 ou de celles prises à  Ottawa, alors que Justin Trudeau jogge avec Enrique Peña Nieto - à l’époque Président du Mexique. Ou, celles prises à Dublin avec Leo Varadkar de l’Irlande - toutes des photos qui avaient beaucoup fait parler et avaient été très populaires en ligne.


Mais ce sont les Présidents américains qui ont popularisé ces images de jogging - de Geroge W Bush, à Bill Clinton et avec le même objectif: celui de montrer une vivacité et un air de jeunesse. Et c’est cet air de jeunesse qui était important pour Erin O’Toole. Son message tout au long de la campagne a été qu’il représentait un Parti Conservateur différent, renouvelé. Et pour ceux qui n’ont pas été convaincus de ce renouvellement dans le programme conservateur, il y avait l’image du chef. En jogging, mais aussi en t-shirt près du corps et en chaussures de sport lors de ses arrêts de campagne et points de presse scriptés.

Pour les curieux et selon Running Magazine, Monsieur O’Toole a complété quelques marathons. Et en 2018, il a complété un 5KM en 38:12.  Monsieur Trudeau, lui, avait couru la même distance en  23 minutes, un an plus tôt.

Le Trumpisme, à la canadienne

Derek Sloan est un ancien député du Parti Conservateur, à qui le Parti a montré la porte - il y a quelques mois - après qu’il eut accepté un don d’un suprémaciste blanc. Aujourd’hui, Monsieur Sloan, se présente dans Banff en Alberta, sous la bannière indépendante. Un de ses slogans est “Make Alberta Great Again”.

Si Trump avait été réélu, peut-être que la version albertaine aurait été moins choquante. Mais étant donnée l’attaque du Capitol du 6 janvier dernier,  jamais la connotation du «great again» n’a été aussi négative que maintenant.

Jagmeet Singh, en couleurs

L’Américaine Alexandria Ocasio-Cortez a été élue à la Chambre des représentants en 2018. Membre de l’aile progressiste du Parti Démocrate, elle s’était notamment fait remarquer par ses affiches de campagne colorées, qui rompaient avec la norme. Depuis, des variations de ce style coloré ont été reprises par plusieurs candidats progressistes, à travers le monde, incluant Jagmeet Singh, le chef du Nouveau Parti Démocrate.

À travers ses affiches électorales, Singh développe une iconographie qui n’est pas sans rappeler celle signée par Shepard Fairey d’Obey Giant qui avait immortalisé Barack Obama en 2008,  sur la célèbre affiche “HOPE”. On peut aussi se demander si Monsieur Singh ne s’est pas aussi inspiré de Pierre Elliott Trudeau, circa 1968.

Les publicités de Jagmeet Singh diffusées notamment sur Facebook et à la télévision ont crevé l’écran. Du jaune, du vert et évidemment, de l’orange - la couleur du NPD. Des couleurs qui détonnent du rouge classique du Parti Libéral et du bleu royal du Parti Conservateur.

 … et un peu d’influence française.

Lors du dernier débat télévisé en français, Jagmeet Singh portait un turban rose.

Dans son livre L’étonnant pouvoir des couleurs, l’auteur Jean-Gabriel Causse. décrit notamment l’effet des couleurs en politique. Le rose rappelle que la vie est belle et que tout est possible. C’est aussi la couleur de l’espoir comme dans la campagne présidentielle de François Mitterand en France en 1981, et celle de François Hollande en 2012. Une subtilité bienvenue, dans cette campagne électorale fédérale qui a produit peu de moments inspirants.

D'autres moments marquants de la campagne

Justin Trudeau et le plus grand moment de la campagne

Lors d’un arrêt de campagne en Ontario, le Premier Ministre Trudeau a été interpellé par le père d’une des victimes du vol de la Ukraine International Airlines, abattu par un missile iranien au début de l’année 2020, très peu de temps après avoir décollé de Téhéran. Au total, 176 personnes sont décédées, dont 55 Canadiens et 30 résidents permanents du Canada.  Le Premier Ministre Trudeau avait promis d’obtenir justice.

Devant ce père en colère, Justin Trudeau n’a pas reculé. Il s’est penché vers l’avant, pour tendre l’oreille parce qu’il y a la colère du père mais il y a aussi la tristesse. Le message du PM était clair: «je vous vois Monsieur, je vous entends et je vais agir». L’échange s’est terminé en accolade entre le père endeuillé et Justin Trudeau. Trudeau n’était pas du tout dénaturé dans ce moment spontané. Au contraire, c’est dans la spontanéité qu’il est souvent à son meilleur. Et ce n’est pas un fan qui l’attendait pour l'applaudir. C’est un citoyen qui lui rappelait qu’il avait brisé une promesse.

Ce moment de grand respect entre deux hommes, était bien différent des confrontations musclées et dangereuses auxquelles le premier ministre Trudeau a eu à faire face en fin de campagne. C’est peut-être pour cela qu’il est si important. Comme un rappel que les différends n’ont pas à être violents.

Le grand moment, raté

Avocate ayant notamment œuvré au bureau du procureur au Tribunal pénal international, la  cheffe du Parti Vert Annamie Paul a un parcours impressionnant. Son expérience, certes en partie influencée par son genre, sa religion et ses origines ethniques, lui donne une perspective bien différente de celles des autres chefs de la course.

Madame Paul avait la capacité et l’opportunité de prendre les angles morts des autres chefs pour en faire des enjeux. Elle aurait pu représenter, du moins davantage, plusieurs groupes qui se sentent souvent ni vus, ni entendus lors de campagnes électorales. À la place, la candidate semblait souvent mal préparée et dépassée par les réalités et robustesses de terrain, multipliant lapsus et blancs de mémoire.

La déception de cette campagne électorale est que Madame Paul n’a pas su se démarquer. Pas lors des débats, ni lors de ses arrêts de campagne et pas dans ses messages, ni dans leur diffusion. Le Parti Vert n’a pas les moyens financiers du Parti Libéral ou du Parti Conservateur, mais il aurait pu faire meilleur usage des réseaux sociaux, par exemple, pour faire connaître la cheffe et pour rejoindre plus d’électeurs.

Québécois, sans ambiguïté

Dès le lancement de sa campagne, grâce à son autobus de campagne, à son affiche et à celles de ses candidats, le chef du Bloc Québécois n’a pas laissé place à l'ambiguïté. Son message était clair: il est Québécois et sa cause est le Québec.

C’est un message qu’il n’a pas eu de difficulté à véhiculer. Les années d’Yves-François Blanchet en tant qu'analyste à la télévision lui ont bien servi. Il est médiagénique, à l’aise devant les caméras et avec la beauté de la langue française. Cette maîtrise n’a hélas pas fait oublier le ton utilisé, souvent jugé arrogant. 

Martine St-Victor est directrice générale du bureau d'Edelman de Montréal.

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