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Après un règne minoritaire sans précédent, Justin Trudeau veut une autre chance

Écrit par Rachel Aiello, CTV News | Traduction

Ce texte est une traduction d'un article de CTV News.

OTTAWA — De nombreux Canadiens espèrent mettre les deux misérables dernières années derrière eux et Justin Trudeau est l’un de ceux-là. Le premier ministre sortant de 49 ans et député de Papineau s’est fait pousser une barbe, a dû se battre avec les technologies de rencontres virtuelles et a vu ses projets de déplacements internationaux mis en pause. Maintenant, il veut aller de l’avant et il espère que vous le voulez aussi.

Si les gouvernements minoritaires durent rarement aussi longtemps que le sien, la question a été soulevée: pourquoi des élections en ce moment? La réponse est en partie parce que les libéraux croient en leurs chances de décrocher un mandat majoritaire.

Mais si vous posez la question aux gens qui connaissent bien Justin Trudeau, qui ont travaillé avec lui ou pour lui, ou encore qui suivent de près sa carrière et sa vie, l’enjeu de cette élection va bien au-delà du désir de pouvoir gouverner plus librement pour les quatre prochaines années.

«Nous avons encore tellement de travail à accomplir», affirme en entrevue le coprésident de la campagne libérale et député sortant, Navdeep Bains. «(Justin Trudeau) est plus déterminé que jamais à implanter une série de solutions parce qu’il sait qu’en sortant d’une pandémie… Il peut donner le ton au pays pour les 20, 30 prochaines années», a ajouté l’ex-ministre.

Repos, réalignement, réforme

Avec cette élection fédérale, Justin Trudeau ne cherche pas à récupérer ou à réfléchir à la dernière année et demie. Mais le fait d’être porté par le sentiment positif que les libéraux ont protégé les arrières des Canadiens tout au long de la pandémie a rendu la tentation de déclencher des élections trop forte pour ne pas y succomber, malgré les craintes de la population face à une quatrième vague de la pandémie.

Ce qu’il cherche à compter de maintenant — en misant sur la capacité des gens à passer à autre chose après un événement marquant — c’est la possibilité de mener la sortie de crise du Canada et de projeter le pays dans une ère de changement post-COVID-19.

Pour toutes les personnes interrogées dans le cadre de ce reportage, le scrutin ne portera pas vraiment sur les années de gouvernement minoritaire de Justin Trudeau, mais plutôt sur la volonté des électeurs de voir ce qu’il pourrait faire des quatre prochaines années.

«S’ils sont intelligents, ils vont continuer de regarder vers l’avant, a partagé la libérale de longue date et directrice de la firme de consultants Bluesky Strategy Group, Susan Smith. Qui est la bonne personne avec un plan pour nous diriger? C’est ce à quoi je crois que les électeurs vont penser pendant la campagne et ils vont se tourner vers Trudeau.»

Vous l’avez entendu le dire: la pandémie a mis en lumière plusieurs failles dans la société et le chef libéral veut avoir l’occasion de mettre la touche finale à des projets en cours concernant les changements climatiques, la réconciliation avec les Autochtones et la récession qui affecte davantage les femmes. Conséquemment, il espère consolider son héritage de politiques visant à corriger ces iniquités.

«En termes de legs… Ils veulent s’assurer que certains programmes, comme celui des services de garde, voient le jour et entrent en fonction pour que ce soit plus difficile pour un prochain gouvernement de les abolir, analyse le stratège libéral et vice-président principal des relations gouvernementales à la firme Proof Strategies, Greg MacEachern. Si les libéraux forment un gouvernement majoritaire, ils pourront en faire encore davantage.»

Les imprévus…

Plus que jamais, la célèbre citation de l’ancien premier ministre britannique Harold MacMillan «events, dear boy, events» s’applique parfaitement pour résumer les deux dernières années du gouvernement libéral. En lançant cette phrase, M. MacMillan répondait à la question d’un journaliste qui lui demandait quel défi serait le plus susceptible de faire dérailler son gouvernement. Justin Trudeau doit sans doute partager ce sentiment alors que les «événements» ou les imprévus ont dicté l’ordre du jour de son gouvernement.

Quand les électeurs ont puni les libéraux en 2019, réduisant leur majorité à une minorité en chambre et les refoulant hors de l’Alberta et de la Saskatchewan, le pays s’est trouvé davantage divisé.

C’était le premier défi à relever pour Justin Trudeau: comment rapiécer la courtepointe nationale? Il n’a toutefois pas vraiment eu le temps de s’y attaquer avant que la pandémie vienne pratiquement effectuer le travail à sa place en forçant tous les premiers ministres à se serrer les coudes pour combattre la COVID-19.

Il n’existait pas de manuel pour répondre à une crise sanitaire et économique d’une telle envergure. Puis, quand son épouse Sophie Grégoire a contracté le virus, le premier ministre a dû s’isoler dans sa résidence officielle de Rideau Cottage. Il s’est adapté et a commencé à livrer des conférences de presse depuis l’extérieur de sa résidence.

C’est là qu’il a fait l’annonce de la Prestation canadienne d’urgence (PCU), de la fermeture des frontières et de l’achat de vaccins. L’approvisionnement et la distribution de vaccins ont été les points faibles du gouvernement libéral au cœur de la pandémie, mais il s’est depuis repris en disposant d’assez de doses pour vacciner toute la population admissible deux mois plus tôt que prévu.

Ce revirement ayant permis d’accélérer la campagne de vaccination est notamment attribuable à la création au printemps dernier d’un groupe d’action centralisé au sein du cabinet du premier ministre lui-même, ont indiqué des sources.

«Ça démontre une certaine maturité politique. Plutôt que de faire des annonces et de nous dire ce qu’ils avaient l’intention de faire, ils l’ont tout simplement fait», a commenté Greg MacEachern.

L’autre changement majeur apporté par le gouvernement minoritaire de Justin Trudeau, c’est le parlement hybride, majoritairement virtuel.

À la suite de quelques votes de confiance où il l’a échappé belle lors de deux sessions parlementaires entrecoupées par un scandale lié à l’organisme UNIS (We Charity), le gouvernement libéral a fait en sorte de tenir les promesses nécessaires pour conserver l’appui des partis progressistes. Toutefois, en raison d’un climat de plus en plus tendu en chambre, le gouvernement n’a pas réussi à faire adopter un grand nombre de projets de loi.

Le Parti libéral va devoir traîner tout ça en campagne électorale, ainsi que le bagage de ses années majoritaires incluant les gaffes à l’étranger, les controverses de blackface, quelques scandales éthiques, des contestations judiciaires controversées et quelques promesses brisées envers certains groupes d’électeurs.

Les défenseurs de Justin Trudeau vont marteler qu’il y a aussi eu des victoires comme le fait de maintenir une bonne relation avec les États-Unis même pendant le mandat de Donald Trump et d’implanter un prix sur le carbone.

Puis, il n’y a pas que la COVID-19 qui a secoué le pays. L’éveil face au racisme, l’été dernier, et la confrontation avec l’histoire coloniale du Canada alors que l’on a découvert des centaines de sépultures anonymes près des anciens pensionnats pour enfants autochtones ont forcé les politiciens à être à la hauteur du moment.

Si Justin Trudeau a posé un genou au sol, le chef de l’opposition néo-démocrate Jagmeet Singh a appelé le premier ministre à faire davantage que de poser des gestes symboliques. Il est bien possible que l’électorat plus jeune et engagé réclame la même chose.

Retour sur le terrain

Justin Trudeau a commencé à se préparer pour la campagne électorale dans le mois qui a précédé le déclenchement officiel. Il semble que, dès le moment où il a reçu sa deuxième dose de vaccin contre la COVID-19 et que le nombre de cas eût suffisamment chuté, M. Trudeau soit retourné sur le terrain avec les gens. Un retour en apparence vivifiant pour le chef libéral.

«Vous connaissez le cliché des politiciens qui tirent de l’énergie des bains de foule. Je crois que Justin Trudeau en fait partie, observe M. MacEachern. Il faut se garder en mémoire que c’est quelqu’un qui est devenu une personnalité publique à la naissance. Sa naissance était une nouvelle nationale.»

Tout en étant le fils d’un ancien premier ministre et en ayant grandi sous les projecteurs, Justin Trudeau est arrivé en politique comme un négligé. Après avoir passé cinq ans comme député d’arrière-ban, il a pris les rênes d’un Parti libéral décimé et est depuis devenu un leader avec des choses à prouver.

«Il a toujours été sous-estimé. Il est physiquement, émotionnellement et mentalement préparé pour accomplir ce travail», croit Navdeep Bains, qui s’est rapproché du premier ministre depuis qu’ils se sont rencontrés en 2006. La pandémie leur a entre autres permis d’échanger sur l’anxiété et le stress vécus par leurs enfants.

La COVID-19 a d’ailleurs permis à la famille Trudeau de «reconnecter», comme le premier ministre l’a lui-même confié. Le confinement lui a permis de passer plus de temps auprès de ses enfants qui grandissent.

Reconnu pour attirer l’attention grâce à des apparitions publiques inusitées, comme de surfer prêt d’une cérémonie de mariage, Justin Trudeau doit maintenant affronter un adversaire conservateur qui joue aussi la carte de la forme en s’assurant d’être filmé en faisant son jogging. La chose n’inquiète cependant pas trop les partisans du chef libéral.

Ultimement, résume Susan Smith, ce que les libéraux demandent aux électeurs c’est d’appuyer une version «plus sage, plus mature et plus expérimentée» de Justin Trudeau.

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