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​«Éternel optimiste» Jagmeet Singh veut miser sur ses forces

Écrit par Solarina Ho, CTV News | Traduction

Ce texte est une traduction d'un article de CTV.

TORONTO — «Quoi de neuf Jagmeet?» Un passant interpelle ainsi tout bonnement le chef néo-démocrate comme s’il s’adressait à un vieil ami.

«Hey! Quoi de neuf mon frère?» lui répond Jagmeet Singh tout aussi simplement, avec un large sourire.

Un peu en retrait du trottoir, à l’ombre sous le parasol d’une terrasse, le chef du NPD est pratiquement laissé à lui-même en ce matin ensoleillé de juillet, le temps d’une entrevue dans un café au centre-ville de Toronto. Cet échange tout naturel illustre la simplicité et la familiarité souvent décrite par ses collègues et qui se reflète dans les sondages à son sujet.

À 42 ans, Jagmeet Singh deviendrait le deuxième plus jeune premier ministre du Canada après Joe Clark si son parti remportait les élections cette année. Selon un sondage, il est présenté comme étant «possiblement le chef politique le plus populaire», tandis qu’une autre enquête affirme que les Canadiens le considèrent comme un meilleur premier ministre potentiel que le conservateur Erin O’Toole. 

Toutefois, malgré toutes ces opinions positives, ce n’est pas tout le monde qui s’amourache de M. Singh. Et sa capacité à transformer cette affection en votes va demeurer l’un des plus grands enjeux de la campagne actuelle.

«D’une certaine manière, l’écart entre les libéraux et les néo-démocrates s’est rétréci et quand cela se produit, ça profite habituellement aux libéraux», analyse la professeure de science politique de l’Université de Toronto Grace Skogstad.

Il reste que tous les bouleversements qu’on a traversé depuis la dernière campagne électorale, particulièrement depuis un peu plus d’un an, — les inégalités socioéconomiques, raciales et dans les soins de santé; le mouvement "Black Lives Matter"; le racisme; le processus de vérité et réconciliation avec les Autochtones; les incendies et les inondations amplifiés par les changements climatiques — concordent parfaitement avec les priorités qui préoccupent le plus M. Singh.

Du point de vue du NPD, cette adéquation a de quoi donner espoir aux partisans que tout en possible pour leur parti...

Sauf que les néo-démocrates étaient optimistes en 2019 aussi. Le jour du scrutin cette année-là, le taux de participation chez les 18-24 ans, un électorat crucial pour Jagmeet Singh, a connu la plus importante baisse parmi toutes les couches démographiques en passant de 57,1 % en 2015 à 53,9 %, selon les données d’Élections Canada.

Au bout du compte, le NPD a perdu 20 sièges en récoltant son pire résultat en plus d’une décennie. Tout cela malgré un sentiment général favorable au chef. Il s’agissait alors d’une immense déception bien que les 24 sièges remportés étaient suffisants pour accorder du poids au parti dans le contexte d’un gouvernement libéral minoritaire aux Communes.

Si vous posez la question à Jagmeet Singh, il vous répondra cependant qu’il vise bien plus que de simplement empêcher les libéraux de décrocher une majorité au parlement. Il veut former le prochain gouvernement fédéral, un premier gouvernement du Canada néo-démocrate.

«Je crois qu’en tant que premier ministre, je serais capable d’aider beaucoup plus de gens», dit-il sans hésitation.

Partisans et détracteurs

Paul Taylor, un militant anti-pauvreté et candidat néo-démocrate pour la deuxième fois dans la circonscription de Parkdale-High Park à Toronto, dit reconnaître en son chef un semblable dans la confrérie des optimistes. Il partage avoir été un témoin privilégié de la manière dont M. Singh peut entrer en connexion avec la communauté et à quel point les gens apprécient sa passion pour les enjeux qui les touchent.

«Il a une écoute incroyable», souligne M. Taylor en entretien téléphonique en ajoutant que les politiciens traditionnels ne projettent pas la même authenticité ou la même accessibilité. «Tout le monde vient vers lui – les jeunes, les gens défavorisés vont vers lui pour dire “merci pour tout ce que vous faites”.»

Un sondage Abacus Data, publié à la mi-juillet, présentait Jagmeet Singh comme un chef populaire, particulièrement chez les femmes et les jeunes, lui accordant même une faible avance sur Justin Trudeau chez les électeurs indécis.

Le chef du NPD mise d’ailleurs sur le soutien des jeunes Canadiens, clamant à plusieurs reprises que ce sont eux qui vont «écrire l’histoire à la prochaine élection», c’est-à-dire maintenant. Cette conviction lui vient de la mobilisation militante démontrée par les jeunes électeurs au cours de la dernière année et du fait que ces mêmes jeunes ont la capacité d’influencer leur entourage.

Dans une courte vidéo de dix secondes mise en ligne sur la plateforme TikTok, il réitère cette certitude que les jeunes vont écrire l’histoire. La vidéo virale a été vue plus de 5,4 millions de fois. Ce réseau social est monopolisé par les jeunes utilisateurs et dans cette vidéo, on voit M. Singh dansé en avant-plan d’un mème sur l’air d’Alors on danse de Stromae.

Les efforts du chef du NPD pour entretenir une image d’accessibilité, particulièrement via sa présence sur les réseaux sociaux, sont bien documentés. Qu’il aborde des enjeux politiques et sociaux, ou qu’il explique comment réussir un nœud de guerrier sikh ou encore comment prononcer son nom correctement — JUG-meet et non Jag-meet — son naturel et son efficacité à utiliser ces plateformes le placent dans une classe à part vis-à-vis ses adversaires politiques selon ses partisans.

Il a diffusé en direct en ligne une partie de plus de cinq heures du jeu vidéo Among Us sur la plateforme Twitch, l’an dernier, pendant laquelle il affrontait la représentante au Congrès américain Alexandria Ocasio-Cortez et d’autres joueurs.

Pour expliquer son succès, Jagmeet Singh répond qu’il fait simplement en ligne ce qu’il fait en personne. C’est-à-dire tendre la main, prendre des nouvelles et créer un lien avec les gens dans l’espace qu’ils occupent que ce soit un café, un parc, ou un réseau social.

Il est un membre de la Génération X qui connecte avec les milléniaux et les Z tout aussi facilement.

«J’ai des appuis parmi eux, mais je ne prends rien pour acquis», assure-t-il.

Sa popularité est d’ailleurs clairement moins grande au Québec et en Alberta, en partie en raison de ses politiques et des particularités régionales.

Si le Québec est une société plus progressiste, Grace Skogstad croit que de faire des gains dans la province sera difficile et la professeure n’est pas la seule à le penser.

Des données de sondages réalisés par la firme Nanos Research semblent appuyer cette théorie. En juillet dernier, le directeur scientifique Nik Nanos analysait les données en disant que le NPD ne s’est jamais vraiment remis de la débâcle électorale de 2019 au Québec.

Fidèle à lui-même, le chef nourrit son optimisme en affirmant que le programme de son parti va rejoindre les Québécois. Il cite par exemple le fait que le Québec compte sur l’un des meilleurs réseaux de garderies au pays et des frais de scolarité parmi les plus abordables, des politiques parfaitement en harmonie avec celles du NPD.

En Alberta, le NPD provincial sous la cheffe Rachel Notley a gagné une importante base de partisans, mais il reste difficile de croire que ce soutien va se traduire par des appuis transférables vers le NPD fédéral. Surtout que l’opposition de Jagmeet Singh au projet d’élargissement de l’oléoduc Trans Mountain est mal accueillie dans la province, fait remarquer Grace Skogstad.

Malgré tout, la politologue reconnaît que M. Singh a étonné beaucoup de gens en 2019, notamment lors des débats des chefs. Il a même réussi à impressionner des gens qui n’auraient jamais pensé à voter NPD auparavant.

Plus qu'un parti d'opposition

Peu de temps après avoir été élu chef du NPD, Jagmeet Singh a passé la majorité de l’année qui a suivi sur la route. La pandémie a freiné ses escapades. S’il dit se nourrir de ses voyages et de ses rencontres avec les citoyens, le politicien a appris à apprécier le fait de passer plus de temps avec ses proches.

Il a entre autres choses pu renouer avec le plaisir de cuisiner et son épouse Gurkiran Kaur Sidhu en a été la principale bénéficiaire. On a aussi récemment appris que le couple attendait un premier enfant. Mais pour le moment, M. Singh est de retour sur la route pour courtiser l’électorat canadien dans l’espoir de diriger le pays.

Si les firmes de sondage doutent d’une telle éventualité dans un avenir rapproché, Jagmeet Singh et ses partisans y croient.

«On fait face à certaines de plus grandes crises auxquelles on ait jamais été confrontés. Et les gens ne voient pas de leadership au sujet de ces enjeux», estime Paul Taylor.

Prendre le crédit, faire des compromis

Jagmeet Singh a aussi fait l’objet de certaines critiques, entre autres chez les libéraux, pour se faire avare de détails quand il formule des propositions politiques. Dans le camp néo-démocrate, d’autres reproches viennent de membres qui souhaiteraient adopter une approche plus à gauche en réclamant des changements systémiques presque radicaux plutôt que d’emprunter la voie plus centriste très près des politiques libérales.

Le chef répond que le bilan de son parti ainsi que les nombreuses propositions et motions rejetées par les libéraux et les conservateurs démontrent clairement que le NPD se différencie de ses rivaux.

Il s’approprie le crédit pour le montant bonifié de la Prestation canadienne d’urgence (PCU) et de la subvention salariale d’urgence, deux programmes lancés en réaction aux impacts économiques de la pandémie pour lesquels le NPD a talonné les libéraux.

Du point de vue de M. Singh, quand les libéraux ont déclaré qu’ils ne pouvaient rien faire, le NPD a refusé de laisser tomber et a exigé que le gouvernement en fasse davantage. Il maintient que c’est grâce au NPD si la subvention salariale est passée de 10 % à 75 % et si la PCU est passée à 2000 $ par mois. 

«Avec 1000 $, on ne paie même pas le loyer, alors oubliez l’épicerie ou les factures, pointe le chef néo-démocrate. Et on a sauvé des millions d’emplois. Alors oui, je crois qu’on a démontré concrètement par nos actions que je ne suis pas prêt à me contenter de moins pour les gens.»

Il reconnaît tout de même que les réalités de la politique font en sorte que parfois, les compromis sont nécessaires. Il concède d’ailleurs avoir dû renoncer à certaines demandes afin de réussir à entraîner des changements plus significatifs. Il voulait entre autres choses s’assurer que la subvention salariale ne soit pas accordée à des entreprises qui accordaient des augmentations salariales à leurs dirigeants ou qui versaient des dividendes à leurs actionnaires. Des demandes auxquels les libéraux ont refusé d’accéder.

Éternel optimiste

Au cours des quarante dernières années, Jagmeet Singh a vécu à Terre-Neuve-et-Labrador, à Windsor, à London et dans le Grand Toronto en Ontario. Puis, son déménagement sur la côte ouest après avoir été élu dans Burnaby Sud semble avoir mis fin à son vagabondage.

La région de Burnaby répond parfaitement à sa passion pour le plein air. Il est un avide cycliste et possède de nombreux vélos. Sur TikTok, on a aussi pu le voir rouler sur une planche de type longboard. Il adore la proximité de l’océan et faire de la planche à neige. De manière générale, il apprécie la vie plus calme de la côte ouest.

Mais il semble tout aussi confortable attablé dans un café au cœur du quartier des affaires de Toronto à discuter de ses politiques. La ville occupe une place spéciale dans son cœur, dit-il.

Né de parents immigrants à Scarborough en Ontario, Jagmeet Singh porte une histoire familiale marquée par certaines difficultés qui résonnent avec de nombreux Canadiens dont les racines familiales ont des ancrages à l’étranger.

Dans son autobiographie intitulée Amour et courage, il raconte les expériences qui ont façonné sa vision du monde, incluant les incidents répétés d’intimidation et de racisme qu’il a dû affronter à l’école en raison de la couleur de sa peau et de son patka, le tissu dans lequel il enrobe ses cheveux.

Des décennies plus tard, en tournée électorale, Jagmeet Singh s’est retrouvé face à un homme qui lui a lancé qu’il devrait retirer son turban pour ressembler à un Canadien.

«Je crois que les Canadiens ressemblent à tous les genres de personnes, lui a répondu M. Singh. C’est ça, la beauté du Canada.»

Sa manière de répondre à la colère et à la haine par la compassion lui a valu une certaine reconnaissance. De l’avis de M. Singh, la pandémie a prouvé que les Canadiens veulent véritablement prendre soin les uns des autres et que le pays en sort encore plus fort.

Cette compassion l’encourage à faire de même en tant que chef politique.

«Je suis un éternel optimiste», répète-t-il.

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