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Élue cheffe des verts en pleine pandémie: Annamie Paul veut connecter avec les Canadiens

Écrit par Ryan Flanagan, CTV News | Traduction

Ce texte est une traduction d'un article de CTV News.

TORONTO — Quand Annamie Paul a accédé à la direction du Parti vert du Canada, en octobre dernier, elle a parlé de l’opportunité d’influencer les actions du gouvernement dans la relance économique postpandémie; a décrit son rôle comme celui d’«être cette voix forte qui porte le message des verts à la population canadienne»; et a annoncé son intention d’être candidate lors d’une élection partielle à Toronto.

Quelque dix mois plus tard, il est assez juste de dire que les choses ne se sont pas exactement déroulées comme prévu.

Bien que Mme Paul ait obtenu le meilleur résultat pour une candidature «non libérale» dans Toronto Centre depuis 2013, elle n’a pas gagné. 

En ce qui concerne la relance économique, arriver à ladite relance explique en grande partie pourquoi on se retrouve en campagne électorale.

Et pour ce qui est de promouvoir le programme de son parti, il faut se rappeler qu’elle a été élue cheffe tout juste avant le début de la deuxième vague de la pandémie de COVID-19 au Canada. Peu après, les restrictions sur les rassemblements ont été resserrées, limitant les occasions pour les politiciens de rencontrer le public et de tenir des événements pour faire connaître leurs idées.

En entrevue, Annamie Paul concède que la pandémie a nui à sa capacité d’entrer en connexion avec les Canadiens.

«Je sais que les gens apprennent encore à me connaître», mentionne-t-elle au bout du fil. «Je ne crois pas qu’on puisse remplacer les rencontres en personne ni le contact personnel que l’on établit lorsqu’on se retrouve avec d’autres gens dans la même pièce ou au même endroit.»

Malgré tout, Mme Paul estime que son parti a été en mesure de s’ajuster à la réalité de la crise sanitaire en s’adressant aux électeurs à travers des événements virtuels, un peu à l’image de la course à la chefferie qu’elle a dû mener en ligne l’an dernier. Et si les rencontres virtuelles ne sont pas aussi efficaces sur le plan humain, elles permettent tout de même de rejoindre des gens dans tous les coins du pays de manière plus efficace que par les tournées traditionnelles.

Parmi les aspects positifs que la pandémie a entraînés, aux yeux d’Annamie Paul, il y a la manière dont les gens ont réagi et à quel point cette réaction a été différente de celle à laquelle on pouvait s’attendre.

«Il y avait cette perception grandissante depuis un moment selon laquelle les gens du Canada et d’autres pays riches devenaient de plus en plus individualistes, égocentriques, et que l’idée de communauté et de responsabilité humaine envers la communauté était morte», décrit-elle.

Au contraire, la dernière année et demie a démontré une tout autre réalité que cet égoïsme. Annamie Paul dit avoir été témoin «de beaucoup de générosité» chez les Canadiens et leurs communautés qui se sont sacrifiés pour des inconnus et qui ont trouvé des moyens de s’entraider pour survivre.

«J’étais très heureuse de voir ça au moment où nous étions mis à l’épreuve. Nous étions vraiment là les uns pour les autres», partage-t-elle.

«C’est une chose sur laquelle on cherche à bâtir. Nous voulons transmettre le message que, si on peut être aussi généreux en ces circonstances difficiles, imaginez ce qu’on pourrait faire si on appliquait cet esprit de collaboration et de coopération pour renforcer le filet social ou pour combattre l’urgence climatique.»

Leadership perturbé

Peu importe à quel point les Canadiens ont impressionné Annamie Paul pendant la pandémie, un autre obstacle est venu l’empêcher de consacrer toute son énergie à les impressionner à son tour.

Au cours des derniers mois, les rares occasions où les verts ont fait les manchettes n’étaient pas liées à leurs politiques ni à leurs propositions aux Canadiens.

Le parti s’est plutôt retrouvé empêtré dans une crise interne. D’abord, la députée Jenica Atwin a fait défection pour rejoindre les libéraux, alléguant un désaccord au sujet du conflit israélo-palestinien. Annamie Paul a répondu à ce sujet n’avoir jamais abordé cet enjeu avec Jenica Atwin.

Quelques jours plus tard, on apprenait que le leadership de Mme Paul était menacé à l’interne. Tout cela a culminé par une série d’événements étranges au cours desquels des membres du conseil exécutif du Parti vert ont tenté de tenir un vote de défiance contre la cheffe et même cherché à révoquer sa carte de membre. Le tout s’est réglé par la décision d’un arbitre qui a annulé les procédures.

Ces querelles intestines semblent avoir coupé le vent qui soufflait dans les voiles du parti à l’approche de la campagne électorale. Dans une analyse du directeur scientifique de la firme Nanos Research, Nik Nanos soutient que ces controverses vont coûter des voix aux verts.

«Tant qu’Annamie Paul ne pourra pas mettre tout ça derrière elle, ce sera une distraction. Elle devra répondre à des questions à ce sujet, même s’il y a une nouvelle catastrophe écologique et même si elle propose un programme génial», croit-il.

En entrevue, Annamie Paul se concentre sur le programme du Parti vert qui veut offrir une vision lucide des changements climatiques. Une position qui se trouve au cœur du parti depuis sa création. Elle veut aussi prendre des positions fortes sur des enjeux de justice sociale, de lutte contre la discrimination et d’aide aux personnes dans le besoin.

«Quand les gens pensent au climat… Ils devraient penser à nous. Quand ils pensent à renforcer le filet social et à s’assurer que nous ne soyons plus jamais aussi fragiles et vulnérables, ils devraient aussi penser à nous», explique la cheffe

Par ailleurs, n’allez pas dire à Annamie Paul que la souffrance causée par la pandémie est derrière nous. «Les gens ne sont pas retombés sur leurs pieds» dans son quartier de Toronto comme dans bien d’autres communautés du pays, réplique-t-elle.

«Ç’a été une expérience difficile, traumatisante et même aliénante pour de nombreuses personnes au Canada. Ils ont soit perdu des proches, perdu leur emploi ou ont été confinés à la maison durant des mois», souligne celle qui a elle-même vécu la perte d’un être cher.

Si Annamie Paul a gagné un emploi pendant la pandémie, elle a perdu son père qui a contracté une infection, qui aurait dû être soignée, alors qu’il résidait dans un centre de soins de longue durée.

Toujours voir grand

Plusieurs Canadiens ne connaissent Annamie Paul que comme la première femme juive élue à la tête d’un parti politique majeur au Canada ou encore comme la première femme noire élue à la tête d’un parti politique majeur au Canada.

Or, son parcours personnel n’est peut-être pas aussi public que celui des hommes qu’elle va devoir affronter sur scène lors des débats des chefs, mais sa vie n’a tout de même pas été vécue dans l’ombre.

Elle est avocate de formation et a travaillé à la Cour pénale internationale ainsi que lors de missions canadiennes à l’Union européenne.

Elle est née et a grandi à Toronto, où elle est retournée chaque été lors de ses séjours à l’étranger. Elle est la fille de parents immigrants et l’épouse d’un avocat spécialisé en droit international de la personne. Elle est aussi mère de deux garçons.

Si elle fait ses premiers pas en campagne électorale nationale, Annamie Paul n’est absolument pas néophyte dans le système politique canadien. Il y a deux décennies, elle a créé le Centre canadien pour le leadership, un organisme visant à diversifier la représentation en politique municipale au pays.

Velma Morgan, qui connaissait déjà Annamie Paul à l’époque, a travaillé plus étroitement avec elle en 2019. Elle préside l’organisme «Operation Black Vote Canada», avec lequel Mme Paul a collaboré pour mettre sur pied le programme de bourses 1834 qui vise à préparer les jeunes Noirs au leadership citoyen.

Quelques mois plus tard, quand Annamie Paul a annoncé son intention de se lancer dans la course au leadership du Parti vert, Velma Morgan s’est engagée pour l’aider dans sa campagne. Elle se rappelle l’excitation ressentie face à la passion démontrée par Mme Paul à écouter les gens qui le sont trop rarement.

«Étant donné tout ce qui se passait à ce moment-là, avec le racisme systémique et le manque de représentation, elle était un phare dans la politique canadienne. On se disait: "OK, enfin, une nouvelle voix qui veut faire les choses autrement pour obtenir des résultats différents"», partage Mme Morgan.

«Quand elle parle d’oser et d’avoir de l’ambition, c’est la personne que je connais. Elle voit toujours grand et pour le mieux. Comment peut-on rendre l’Ontario meilleur, comment peut-on rendre le Canada meilleur?» donne-t-elle en exemple.

Peut-elle garder les verts pertinents?

Annamie Paul va devoir réaliser un difficile numéro d’équilibriste au cours de la campagne. Elle est à nouveau candidate dans Toronto Centre, ce qui veut dire que ses chances d’être élue reposent sur sa capacité à conquérir un château fort libéral, ce qu’elle n’a pas réussi à faire l’an dernier.

Mais gagner dans Toronto Centre n’est pas suffisant. La cheffe des verts insiste pour dire que la priorité du parti est de «faire élire plus de verts», ce qui veut dire dépasser le nombre record de trois députés élus en 2019.

De ces trois élus, Jenica Atwin a rejoint les libéraux, alors que Paul Manly et l’ex-cheffe Elizabeth May sollicitent un nouveau mandat.

Les verts cherchent de toute évidence à étendre leur empreinte au-delà de l’Île de Vancouver. Les endroits les plus favorables sont possiblement la Colombie-Britannique, mais aussi l’Île-du-Prince-Édouard où les verts forment l’opposition officielle à l’échelle provinciale, ainsi que le Nouveau-Brunswick qui a élu Jenica Atwin en 2019. Des candidats verts ont fini deuxièmes lors des dernières élections fédérales dans Kitchener Centre et Guelph, dans le sud de l’Ontario.

De l’avis de la firme de sondage Nano, la seule manière de concrétiser ces percées passe par un retour aux racines du Parti vert du Canada.

«Dans un monde idéal pour les verts, s’ils veulent bien faire dans cette élection, ils doivent mettre leurs querelles derrière eux et faire passer l’environnement avant leurs problèmes internes», mentionne Nik Nanos.

«S’il n’y parvient pas, le Parti vert sera sans intérêt», tranche-t-il.

Et même s’il y parvient, rien n’empêche que ces chicanes remontent rapidement à la surface. Selon les règles internes du parti, si la cheffe ne devient pas première ministre, elle doit affronter un vote de défiance dans les six mois suivant l’élection.

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